Le Buëch dispose d’un atout primordial pour la faune aquatique : les adoux. Ces petits ruisseaux, issus de sources de versant ou de résurgences de la nappe alluviale du Buëch, constituent les principaux habitats des écrevisses à pieds blancs et renferment d’importantes zones de frayères pour les poissons, en particulier la truite fario. Ils accueillent également le Castor d’Europe. Les adoux sont donc des milieux d’une grande valeur écologique, nécessitant des interventions douces. L’AAPPMA de la truite du Buëch organisait cet automne l’entretien des adoux de la Garenne et des Glacières. Son président, Jean-Pierre Choffel, revient pour nous sur cette matinée studieuse. Guillaume Verdier, inspecteur de l’environnement à l’Office Français de la Biodiversité (OFB) des Hautes Alpes, conclura l’article.
Entretenir les adoux pour favoriser la reproduction de la truite fario
L’intervention sur les adoux est la seule possibilité qui s’offre à l’AAPPMA « La Truite du Buëch » pour favoriser le maintien d’une truite sauvage méditerranéenne dans la vallée du Buëch. Toutes les interventions qui ont été faites depuis 25 ans, que ce doit la pose de boîtes Vibert dans les cours d’eau, les alevins de printemps, les truitelles d’automne, les farios à vésicule résorbées (plus de 150 000), les arcs en ciel à vésicule résorbée, les arcs en ciel de printemps, etc. n’ont pas donné de bons résultats. Les pêches électriques d’inventaire pratiquées par l’OFB en sont la preuve : on ne retrouve pas de poissons issus de ces interventions lors de ces pêches.
Parallèlement à cela et depuis plus de 20 ans nous avons consacré notre bénévolat à des actions de préservation des milieux naturels qui semblent les seules à pouvoir maintenir notre cheptel de truite farios si fragile, car de plus en plus nous constatons des crues d’hiver qui empêchent que la fraie des truites dans le Buëch réussisse.
Ainsi depuis quelques années, nous effectuons un entretien des adoux avant la remontée des truites. Nous nous attachons à supprimer les embâcles limitants la circulation des poissons et surtout à apporter un soin particulier à la connexion avec la rivière. Les adoux qui sont entretenus par la truite du Buëch sont l’adoux de la Garenne à Aspremont et l’adoux des Glacières à Aspres sur Buëch. Sur ces deux adoux, il existe des comptages de frayères effectués par le SMIGIBA et l’OFB permettant de constater leur fonctionnalité et de remédier à des lacunes. 36 frayères ont été comptabilisées sur l’adoux de la Garenne en 2021 et 71 sur l’adoux des Glacières.
Dès les années 2000, nous sommes intervenus pour entretenir ces deux adoux. Dans le cadre du contrat de rivière du Buëch, en 2010 et 2011, des travaux de restauration ont été effectués par une entreprise spécialisée avec mise en place de déflecteurs, fascines, refuges, protections contre les animaux, etc., pour plusieurs milliers d’euros. Nous participions depuis tous les ans à leur entretien régulier jusqu’en 2017. Nous reprenons cette année cet entretien.
Un entretien encadré par l’OFB
Nos interventions sont cadrées par une fiche de renseignements relative à la réalisation de travaux en rivière, soumise à l’administration. Les travaux proposés (restauration des fonctionnalités des annexes hydrauliques en supprimant les embâcles qui entrainent un colmatage des zones de frayères) relèvent de l’entretien courant que doit réaliser un riverain d’un cours d’eau en application de l’article L.215-14 du code de l’environnement. Ces travaux sont conformes aux objectifs du plan départemental pour la protection du milieu aquatique et la gestion des ressources piscicoles (PDPG, consultable sur le site de la fédération départementale de pêche des Hautes Alpes). Il faut notamment préserver les barrages de castors qui peuvent être présents sur les adoux.
L’équipe au travail dans les adoux
Jeudi 4 novembre 2021 à 9 heures nous nous retrouvons donc devant la mairie d’Aspremont, une petite équipe composée des membres du conseil d’administration de la Truite du Buëch, avec le renfort du SMIGIBA en les personnes de son ingénieur hydromètre Antoine Barniaudy et de son chargé de mission Natura 2000 Rémy Moine. L’Office Français pour la Biodiversité (OFB), était représenté par Guillaume VERDIER qui supervisait les intervenants et les conseillait pour l’enlèvement des embâcles et l’ouverture des barrages de castors.
La première chose qui a été faite est que chacun a trempé ses bottes dans un seau où un peu de javel avait été mis dans l’eau, pour les désinfecter de tout parasite et éviter la propagation d’organisme indésirable et dangereux pour la biodiversité locale.
L’adoux de la Garenne
Nous commençons par parcourir intégralement l’adoux de la Garenne, en observant les embâcles et en se faisant une idée de ce qui peut être fait dans l’intérêt de l’habitat du castor, tout en autorisant la remontée des truites pour leur fraie saisonnière. Nous constatons que les travaux effectués en 2010 dans le cadre du contrat de rivière du Buëch ont besoin d’être rénovés, un entretien plus lourd tous les 5 ans en plus de l’entretien annuel permettrait de garder une fonctionnalité optimum, comme ci-dessous où les fascines ont disparu. Cependant une bonne surprise nous attend, concernant la connexion avec le Buëch, qui est complétement dégagée et bien opérationnelle.
On remonte ainsi l’adoux et on repère le premier embâcle qui fait l’objet d’une remise à niveau. La progression vers l’amont continue, les embâcles sont traittout en laissant sur un coté la possibilité aux truites de remonter, 4 sont protégés de l’aval à l’amont. Il ne reste plus à l’équipe qu’à enlever le reste des embâcles, limitant la progression des truites aval/amont pour aller déposer leur fraie et attendre les 400 degrés jours pour l’éclosion.
L’adoux des Glacières
La Garenne ayant été vue dans son ensemble, nous pouvions voir l’adoux des Glacières, où une surprise nous attendait puisqu’à la jonction avec le Buëch un embâcle était installé. Pas de doute, les branches taillées étaient tellement fraîches qu’il s’agissait bien de l’installation d’un castor. Nous nous trouvons donc devant un autre problème, celui de la connexion de l’adoux avec le Buëch pour que la remontée des truites s’effectue mais aussi que le castor puisse se servir de son barrage et ne pas détruire son habitat. La solution : conserver l’habitat au moins une grande partie pour ne pas inquiéter le(s) castor(s) et laisser sur un coté un espace libre avec une lame d’eau qui permet aux truites de franchir cet obstacle. Avec un passage bien délimité et à surveiller, pour le garder toujours ouvert.
Le reste de l’adoux a eu bien sûr besoin d’un rafraîchissement et la progression a permis de remettre de l’ordre en enlevant quelques embâcles tout en laissant quelques arbres remarquables comme habitats d’insectes, bonne nourriture pour les truites. A part le barrage à l’aval, pas de trace de castor tout au long du linéaire qui était bien alimenté car il y avait de l’eau à la sortie des « Glacières » contrairement à ce que l’on avait constaté certaines années.
Les conditions hydrologiques étaient bonnes lors de notre intervention car il était tombé sur le secteur environ 47 mm lors des 5 jours passés, le Buëch à Serres est passé de 2 m3/s le 31 octobre à 0 heures à 29m3/s le 1° novembre à 16 heures et revenu lors de l’intervention à 12 m3/s (voir la station hydrométrique de Serres sur le site Vigicrues). Cette action locale s’inscrit dans le cadre du plan de gestion que s’est fixé l’AAPPMA « La Truite du Buëch » pour accéder à une gestion patrimoniale du Buëch en agissant sur la restauration des milieux plutôt que d’effectuer des alevinages à outrance.
Maintenant nous devons prendre en compte la présence du castor et pouvoir concilier les protections de chaque espèce, truite et castor. Pour cela il faut revenir de temps en temps pour vérifier que la cohabitation est toujours possible et que l’espace réservé à chacun est toujours opérationnel. Les adoux de La Garenne et des Glacières sont opérationnels, nous attendons maintenant la colonisation des géniteurs.
Nos rivières disposent d’un patrimoine irremplaçable qu’il nous faut préserver et surtout entretenir pour qu’il perdure. Notre seul indicateur est le comptage de frayères qui ne peut que nous encourager à réaliser des actions de ce type qui permettent de prendre conscience du caractère fragile du milieu, qui s’il n’est pas entretenu tous les ans perd ses fonctionnalités. Si vous constatez des anomalies sur ces adoux contactez nous pour une intervention réparatrice.
Jean Pierre Choffel, président de l’AAPPMA du Buëch
Le mot de Guillaume Verdier, inspecteur de l’environnement, OFB 05
Les adoux du Buëch constituent des milieux remarquables dans le fonctionnement et la préservation de la biologie aquatique du Buëch. Depuis quelques temps, un petit nouveau s’est invité en ces lieux afin d’y bénéficier également de conditions privilégiées : le castor (Castor fiber). Cette espèce protégée à forte valeur patrimoniale que l’on a failli voir disparaître totalement de notre territoire national nécessite aujourd’hui une attention particulière afin de garantir sa préservation.
Cette dernière passe par le respect de ses habitats qu’il peut constituer par mise en place de petits barrages lui permettant de constituer une lame d’eau suffisante afin de satisfaire ses nécessités biologiques (déplacement, alimentation, abri etc…). Ces ouvrages, dans le cas présent de ces petits milieux que sont les adoux, sont parfois contraignants pour le reste de la biologie aquatique qui ne peut plus circuler librement.
Permettre à un moment clé de la reproduction salmonicole cette circulation piscicole tout en préservant l’enjeu d’habitat pour le castor était alors l’objectif de ces opérations de nettoyage des adoux. C’est ainsi qu’un franchissement piscicole a été sommairement initié sur ces ouvrages de notre ami castor avec l’impérieuse nécessité de ne pas modifier la hauteur de la lame d’eau amont. En effet, deux éléments à la fois techniques et réglementaires commandaient ce fait :
- la lame d’eau (sous-entendu hauteur d’eau) constituée par un barrage de castor constitue un habitat protégé par la loi, au même titre que l’individu castor.
- ne pas modifier cette lame d’eau permettait d’envisager bien plus aisément dans la durée le bénéfice du travail du rétablissement piscicole car le castor ne serait pas amené à obturer rapidement cet aménagement sommaire réalisé sur ses ouvrages de par le fait que son habitat n’était pas modifié.