En 2016, EDF a procédé à une opération de restauration du Buëch en aval de la retenue de Saint Sauveur à Serres. En effet, la retenue bloque les sédiments charriés par le Buëch, ce qui entraine une élévation du niveau du lit du cours d’eau à l’amont de la retenue, aggravant les risques d’inondation, et une incision du lit du Buëch à l’aval de la retenue, incision qui provoque la disparition du tressage du Buëch, l’assèchement des milieux humides et déstabilise les pieds de digues. Une situation perdant perdant ! EDF a donc extrait des alluvions en amont de la retenue pour les déposer en aval pour essayer de contrer l’incision du lit. Cette opération a été suivie par l’équipe de Frédéric Liébault, chercheur au sein de l’unité érosion, torrent, neige et avalanche à l’INRAE, dans le cadre du programme européen HyMoCARES. Frédéric nous fait l’amitié d’un retour sur ce suivi.
Le Buëch est une rivière en tresses des Préalpes du Sud. Le tronçon d’étude de 2.2 km est situé à proximité de Serres, en aval du barrage EDF de Saint-Sauveur. Comme la majorité des rivières alpines, le Buëch se caractérise par un contexte général de tarissement des apports sédimentaires du bassin versant, sous les effets cumulés :
- des changements climatiques post Petit Age Glaciaire;
- du reboisement spontané lié à la déprise rurale;
- des travaux de correction torrentielle (RTM) durant la période 1860-1915.
La continuité du transport solide par charriage a été d’autre part fortement impactée par les extractions de graviers et la construction du barrage de Saint-Sauveur en 1992. Trois vannes permettent une certaine continuité sédimentaire lors des crues, mais la plupart des matériaux grossiers sont piégés dans le réservoir. Dès 1993, quelques mois seulement après la mise en service du barrage, la formation d’un chenal incisé dans l’ancienne bande de tressage a été observée en aval de l’ouvrage.

Une recharge sédimentaire artificielle pour contrer l’incision du lit
Le projet de restauration du Buëch en aval de St-Sauveur est fondé sur une opération de recharge sédimentaire artificielle de 44 000 m3, mise en œuvre en septembre 2016 par EDF. Les graviers réinjectés ont été directement prélevés dans le cône alluvial du Buëch qui s’est formé dans la partie amont du réservoir de St-Sauveur. Les graviers ont été déposés le long d’un tronçon de 400 m en aval du barrage, sous la forme de terrasses artificielles situées de part et d’autre du chenal principal.
L’objectif général de la restauration du Buëch est d’améliorer les conditions hydrogéomorphologiques en aval du barrage, par une augmentation artificielle des apports sédimentaires, sans aucune autre intervention. Les effets attendus de la restauration sont les suivants :
- l’inversion de la tendance à l’incision du lit;
- l’augmentation de l’hétérogénéité des habitats aquatiques et terrestres;
- l’amélioration de l’état écologique de la rivière.

Des résultats en demi teinte
Les résultats obtenus montrent que la recharge sédimentaire du Buëch améliore nettement la morphologie du chenal en inversant une longue tendance vers l’incision et la simplification du lit, comme l’atteste la topographie différentielle du tronçon restauré avant et après une crue de période de retour 5 ans qui a remobilisé la moitié des terrasses artificielles. La combinaison de relevés topographiques haute-résolution et du traçage sédimentaire par RFID active a permis d’isoler avec succès la propagation vers l’aval de la vague sédimentaire induite par la recharge sédimentaire.
Le front de dépôt a été détecté à 2.3 km en aval du barrage, attestant d’une dispersion rapide de la charge grossière vers l’aval. Une couche de graviers d’une épaisseur moyenne de 30-40 cm s’est réformée sur plus de 1.5 km après la première crue post-restauration. En revanche, la recharge effective du lit (22 650 m3) a été insuffisante pour élargir la bande tressage, ce qui aurait permis d’initier par substitution de charge d’autres vagues sédimentaires plus en aval.
L’étude des effets de la recharge sédimentaire sur l’hétérogénéité des habitats est uniquement basée sur un suivi intensif post-traitement, car les données sur l’état du lit avant restauration n’étaient pas disponibles, ni les données après restauration sur un site témoin. Cependant, l’imagerie drone et la photogrammétrie SfM ont été utilisées pour produire une cartographie fine de l’habitat physique en 2017 et 2018. Bien qu’un fort taux de renouvellement des conditions d’habitat soit observé, la structure morphologique générale du lit actif est restée inchangée au cours de la période, et l’hétérogénéité globale de l’habitat peut être considérée comme stable.

Il serait intéressant d’étendre le suivi drone au cours des prochaines années pour surveiller l’évolution des conditions d’habitat sur une plus longue période. Ceci est également vrai pour la surveillance aéroportée de la température des eaux de surface par caméra infra-rouge thermique, qui n’a été possible qu’après restauration. Une campagne thermique en hiver serait utile pour évaluer le rôle du réservoir de St-Sauveur sur le contrôle de la température hivernale et améliorer la compréhension de la récupération aval du patron thermique.
La qualité de l’eau et les conditions écologiques (macroinvertébrés et faune piscicole) avant et après restauration n’ont montré aucune évolution qui permette de confirmer un effet positif de la recharge sédimentaire. La qualité de l’eau est restée à un très bon niveau avant et après recharge sédimentaire. Concernant les réponses biologiques, les effets hydrologiques et thermiques du barrage n’ont pas été compensés par la recharge sédimentaire, et les différences entre le tronçon restauré et le tronçon de contrôle (en amont du barrage) restent dominées par l’effet barrage. Une durée de suivi plus longue serait nécessaire pour déterminer si l’absence de réponse biologique reflète une récupération morphologique insuffisante, ou une fenêtre de temps de surveillance trop courte pour détecter les trajectoires biologiques.
Le programme HyMoCARES :
Le projet Espace Alpin HyMoCARES avait pour objectif de développer une plateforme opérationnelle dédiée à l’intégration des services écosystémiques dans les plans de gestion des bassins versants de rivières alpines, en relation avec les facteurs de contrôle du fonctionnement hydromorphologique et de la continuité sédimentaire.
Sur la base d’études de cas recouvrant différents contextes alpins, un cadre conceptuel spécifique d’intégration des services écosystémiques inhérents aux rivières alpines, actuellement inexistant, a été élaboré. L’approche était centrée sur l’évaluation multi-échelle des effets des pratiques de gestion et de restauration, pour délivrer à terme des outils d’estimation des services écosystémiques associés aux dynamiques hydromorphologiques de ces milieux.
Le projet a rassemblé 13 partenaires issus de l’ensemble des pays de l’espace alpin (Italie, France, Autriche, Slovénie, Suisse, Allemagne). Différents types d’organismes étaient représentés dans ce consortium, mettant en lien des travaux de recherches en sciences de l’environnement, en sciences sociales et leur application sur les territoires par des organismes de gestion opérationnelle. De plus, les autorités nationales et régionales, les structures de gestion ont été fortement impliquées comme partenaires ou observateurs.

Côté français, le Département des Hautes-Alpes et l’IRSTEA de Grenoble ont travaillé sur deux cas d’études où des travaux de restauration en rivières ont été menés, le Buëch à Serres et le Drac à Saint Bonnet en Champsaur, en collaboration étroite avec le SMIGIBA et la CLEDA. Ces deux partenaires français se sont concentrés sur des évaluations morphologiques, écologiques et écosystémiques avant et après travaux, afin d’étudier les impacts effectifs des travaux de restauration de grande ampleur.
