Sur les célèbres parois rocheuses de la montagne de Céüse, différentes stars en costume à plumes défilent au printemps : dans son manteau noir impeccable le Crave à bec rouge (Pyrrhocorax pyrrhocorax de son petit nom latin), le coloré Tichodrome échelette (Tichodroma muraria), ou les ballerines des airs que sont l’Hirondelle de rochers et l’Hirondelle de fenêtre (Ptyonoprogne rupestris et Delichon urbicum)… Mais une espèce fait beaucoup parler d’elle : le Falco peregrinus ou Faucon pèlerin !
Présentation de notre star
Parmi les espèces poids-plumes – l’animal pesant entre 500g à 1300g pour une envergure de 95 à 115 cm -, c’est l’emblème des citadelles rocheuses vertigineuses (vous pouvez consulter sa fiche d’identité en suivant ce lien). Et imprenables…jusqu’à ce que nous, Homo sapiens, inventions l’escalade.
Les parois rocheuses sont en effet son habitat de prédilection pour deux raisons principales : les vires rocheuses sont parfaites pour se reproduire, car hors de portée de prédateurs à deux ou quatre pattes, et sont un excellent poste d’affût. Notre oiseau est en effet un ornitophage, qui se nourrit d’oiseaux comme le Pinson des arbres, le Geai des chênes ou de colombidés (Tourterelle turque, Pigeon bihset etc...). Il les attrape en plein vol, après les avoir repérés depuis son perchoir ou lors d’un vol en hauteur, l’attaque déclenchant parfois les fameux piqués atteignant les 300km/h ! Ce qui lui vaut le prix de « l’oiseau le plus rapide du monde » !
La petite histoire…
Sur Céüse, la première observation d’un adulte en période de reproduction dont nous avons gardé une trace date de 1999. Avant cela, le site était probablement occupé, mais l’histoire du faucon pèlerin ayant été mouvementée, il y a pu avoir une interruption dans la seconde moitié du 20ème siècle… (se référer à l’excellent journal La Hulotte à ce sujet, numéros 41, 42-43 et 46-47).
Couple ou adulte sont ensuite observés certaines années, en fonction de la pression d’observation du réseau d’écologues et de naturalistes dédié au suivi de l’espèce. Car bien que protégée, l’espèce demeure menacée d’extinction dans certaines régions de France comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
En 2022, dans le cadre des différents suivis scientifiques menés via l’animation du site Natura 2000 « montagne de Céüse, Pic de Crigne, montagne d’Aujour, montagne de Saint-Genis », un espace naturel protégé de près de 6900 hectares, le suivi démarre en fin d’hiver par la recherche du couple. Les parades du mâle et de la femelle sont observées début mars, puis l’aire de reproduction est identifiée, au milieu du secteur d’escalade « Grandes Voies ».
Les actions de gestion Natura 2000
En 2022, une première réunion est organisée sur la commune de Sigoyer afin de réunir l’ensemble des parties prenantes : élus de la commune de Sigoyer, Communauté d’Aglomération Gap-Tallard-Durance, Direction Départementale des Territoires (DDT05), Office National des Forêts (ONF), Office Français de la Biodiversité (OFB), Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Département des Hautes-Alpes, équipeurs des voies d’escalade.
Une réunion qui a pour objectif de faire le point sur la biologie de l’espèce, les observations réalisées et les mesures à prendre ensemble pour maximiser les chances de reproduction du couple et la survie des jeunes (en moyenne 50% la première année).
D’avril à juin, l’incubation puis l’élevage des jeunes constituent la période pendant laquelle l’espèce est la plus sensible au dérangement. Cette sensibilité varie d’un site à l’autre comme en fonction des couples. Le dérangement peut parfois être fatal à la couvée, et le site définitivement abandonné.
Les grimpeurs assidus le savent, il a été décidé de fermer les longueurs supérieures autour de l’aire jusqu’au 15 juin, les couennes (premières longueurs) restant accessibles. Des panneaux sont posés au pied des voies concernées par les équipeurs, qui relaient l’information. Un complément de panneaux est fait sur les chemins d’accès ou lors d’animations Natura 2000 organisées pour le grand public ou le club alpin français.
À NOTER
Il est bien entendu demandé d’éviter toute utilisation de drones à proximité des parois !
En parallèle, un travail d’information est mené auprès de l’équipe de l’aérodrome Gap-Tallard, qui transmet les préconisations de respect de la zone de sensibilité auprès des usagers et des entreprises d’activités aériennes.
En 2023, les premières observations en fin d’hiver confirment que le couple est bien là, sur le même secteur. D’un commun accord, il est choisi de renouveler la mesure de préservation sur les parois rocheuses : les longueurs supérieures d’escalade sont fermées jusqu’à mi-juin. Les réseaux sociaux sont remobilisés.
La zone de sensibilité vis-à-vis des activités aériennes est maintenue, et la diffusion de l’information est renouvelée par l’aérodrome. Nouveauté cette année, une présentation des espèces à enjeu et des préconisations est organisée lors de la revue de sécurité annuelle de l’aérodrome.
Que devient le faucon ?
Pendant les printemps 2022 et 2023, le suivi se poursuit patiemment, les cris stridents du mâle et de la femelle étant une joie pour les oreilles. Ils sont toujours là, chassent, échangent de la nourriture.
Et puis début d’été un individu au plumage un peu différent est observé. Le détail imparable : les plumes de son ventre sont striées verticalement (et non horizontalement) ! C’est le tant attendu juvénile !
En 2022 comme en 2023, à minima un jeune était donc à l’envol en début d’été (observations du 6 juillet 2022 et du 21 juin 2023), confirmant la reproduction du couple ces deux années.
A noter toutefois que l’aire n’étant pas visible, il reste impossible d’évaluer le succès de la reproduction, certaines données étant inconnues (nombre d’œufs pondus, nombre de poussins à l’éclosion…).
Affaire à suivre donc. Souhaitons bonne chance au juvénile qui découvre cette année le panorama spectaculaire de Céüse.